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walter benjamin - Page 2

  • La carte postale du jour...

    "La conscience, c'est le chaos des chimères, des convoitises et des tentations, la fournaise des rêves, l'antre des idées dont on a honte; c'est le pandémonium des sophismes, c'est le champ de bataille des passions."
    - Victor Hugo, Les Misérables (1862)

     

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    Je me souviens d'avoir découvert ce groupe par le magazine anglais WIRE, d'avoir eu un frisson de plaisir à l'écoute de Holt, Jarmara dont le son post-punk tribal m'a rappelé tour à tour A Certain Ratio (des débuts), Violent Femmes, 23 Skidoo, Pop Group, et, surtout, Shock Headed Peters, le groupe du bucheron de la basse Karl Blake qui, avec son premier album Not Born Beautiful signait en 1985 la quintessence d'un post-punk affranchi de toute mode, de tout genre, d'une inquiétante beauté et d'une élégante étrangeté. (J'en profite pour dire à quel point je suis parfois désolé - désolé dans le sens de la déception, mais en plus fort, plus énervé aussi - par tous ces groupes vendus comme post-punk depuis une douzaine d'années mais qui sonnent le plus souvent comme de la new wave FM, rappelant le pire de Simple Minds, Duran Duran et Tears For Fears réunis, et qu'on aimerait nous vendre comme du Joy Division, du Wire ou du Public Image Ltd!)
    Je me souviens bien que cet album de The God In Hackney - Cave Moderne - est rapidement entré dans mon top ten des pochettes les plus moches, à tel point que, l'ayant laissé trainé sur le sol du salon, ma copine eu un choc, une frayeur véritable, en tombant dessus un matin, au réveil, et me demanda par la suite "c'est quoi cette horreur?!". (Ringo Starr dans sa période hippie?)
    Je me souviens aussi d'avoir été très intéressé par la démarche du groupe, parce que leur approche relève de la performance, proche des arts plastiques, donnant par exemple un concert de huit heures non-stop au Centre Pompidou, le fait aussi que ses quatre musiciens, tous issus d'autres formations musicales, résident chacun dans des endroits différents - Los Angeles, New York, Brighton et Londres -, et puis l'absence de "buzz" autour de The God In Hackney joue son rôle, pas d'effet de mode, l'aura et l'intrigue restent entières, et puis l'album est excellent, particulièrement Holt, Jarmara, dont le texte est si incompréhensible que je ne peux le le retranscrire ici, mais voici le lien pour l'écouter, c'est déjà ça :

    https://soundcloud.com/junioraspirin/the-god-in-hackney-holt

     

    Lucien Polastron propose en 234 pages Une brève histoire de tous les livres, en passant par sa bibliothèque - pardon : ses trois bibliothèques - comme l'avait fait Walter Benjamin dans son Je déballe ma bibliothèque, comme l'a fait dans plusieurs ouvrages Alberto Mangel, plus récemment Cécile Ladjali avec Ma bibliothèque - Lire, écrire, transmettre, ou encore le truculent La traversée des plaisir de Patrick Roegiers. Mais alors qu'on pourrait s'attarder des heures durant dans sa vaste collection, et son érudition non moins grande, Lucien Polastron nous donne une merveilleuse leçon d'histoire pour tout savoir de l'écrit : comment il fut conserver, commet il se déplaça, évolua, jusqu'à devenir ce que nous tenons aujourd'hui dans nos mains - un livre relié (ou broché). Chercheur spécialisé dans l'histoire du papier, Lucien Polastron maitrise l'anecdote à la perfection, ce qui donne beaucoup de charme à ce livre, et il se laisse volontiers aller à l'ironie, voir la critique acerbe de la (fausse) "révolution" numérique actuelle. Au contraire de la musique, qui a fait son retour (et je parle ici du retour sous forme "physique", dans les magasins) sous la format vinyle, avec de (plus ou moins) belles pochettes grand format, le livre n'est pas prêt de "partir", toutefois le public se tourne de plus en plus faire de belles éditions, de beaux objets, des éditeurs innovants et / ou facile à suivre - au design reconnaissable, tout autant qu'à la confiance que l'on peut apporter à leurs choix en littérature, comme Allia, Verticales, POL, Minuit, Bourgois, Corti, Verdier, etc. - et aussi (surtout ! serais-je tenté de dire) vers de bons textes. Qui n'a en effet jamais été tenté d'acheter un livre simplement parce qu'il était orné d'une peinture de Munch, Redon, ou Böcklin ? moi cela m'est arrivé, et j'ai parfois découvert d'excellents textes, mais j'ai été aussi déçu, parfois clairement trompé sur la marchandise...
    J'aime beaucoup ce passage sur les couvertures des livres, même si la plupart du temps je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'auteur (il faudrait peut-être lui expliquer que le digital, le numérique n'est pas dénué de graphisme, et que la sobriété n'est pas forcemment une uniformisation ou un nivellement, mais c'est aussi un style en soi - jamais entendu parlé du Bauhaus cocolet?), Lucien Polastron est en effet trop pessimiste, trop "vieux-ronchon", il est comme c'est gens qui critiquent la littérature contemporaine sans la lire, il est peut-être trop (intentionnelement?) détaché des jeunes générations qui prisent tout autant les livres et le vieux papier, il faudrait peut-être qu'il lise plus François Bon, allez savoir...

    "Par-dessus le marché mais pas seulement en France, cette dernière mouture finit par adopter une vicieuse tendance à l'uniforme et au nivellement, dérive que l'on pourrait qualifier de livredepochienne, comme si chaque publication cherchait à passer inaperçue, tandis que les prix grimpent en proportion inverse du tangible apporté : à 35 euros le Pynchon, par exemple, étonnez-vous que les pauvres ne lisent plus ! Au moins a-t-on quelquefois pour le prix d'un roman une couverture alléchante et illustrée d'un joli paysage ou d'un bikini garni, comme c'est de plus en plus souvent le cas, quitte à fourvoyer minablement l'acheteur potentiel.
     (Mais jamais autant que le fit la couverture fantasmagorique accolée aux Chants de Maldoror par une publication vendue dans les halls de gare - est-ce pensable ? - vers 1960 et qui dévoya, mieux que n'aurait jamais pu faire la respectable version Corti de 1953, bien des jeunes gens épris de fantastique bon marché, vers des chemins d'où ils ne revinrent jamais (il parait qu'aventure approchante était déjà arrivée à Philippe Soupault qui, lui, tomba sur cette œuvre alors presque totalement inconnue, au rayon "mathématiques" d'une librairie-papeterie du boulevard Raspail).)
     Embarcadères du rêve et du désir, les couvertures, donc bonnes ou mauvaises, il va falloir s'en déprendre aussi : la numérisation les rend inutiles puisqu'il n'y aura plus grand-chose à promettre ni à cacher. D'ailleurs la plupart des grandes maisons d'édition du siècle dernier, à l'instar de leurs dignes prédécesseurs, avaient déjà opté pour une homogénéisation muettes des façades, habillant aussi bien les mémoires de la majorette que les vaticinations du philologue avec une même couleur maison, tout en se partageant confraternellement le peu de spectre disponible : à Grasset le pastis presque pur, à Minuit le blanc azyme, à Gallimard le beurre frais, etc. Le tout en vrac dans un sac de la Fnac, couleur moutarde-écrasée."

     

  • La carte postale du jour ...

    "J'ai cherché en vain, dans la mer sans fond des plaisirs comme dans les profondeurs de la connaissance, une place où jeter l'ancre. J'ai senti la force presque irrésistible avec laquelle un plaisir tend la main à l'autre plaisir ; j'ai senti la sorte de fausse exaltation qu'il peut faire naître ; j'ai senti aussi l'ennui, le déchirement qui le suit. J'ai goûté les fruits de l'arbre de la connaissance et bien souvent, j'ai éprouvé la joie de les déguster. Mais cette joie était seulement dans l'instant de la connaissance et ne laissait aucune marque profonde derrière elle. C'est comme si je n'avais pas bu à la coupe de la sagesse, mais était tombé dedans." - Soren Kierkegaard (1835)

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    Je me souviens, quoiqu'imprécisement, perdre peu à peu le goût de la nouveauté, ce sentiment exaltant qui, de mon adolescence jusque dans le courant des années 2000, suscita en moi une passion sincère et parfois immodérée pour des artistes ou groupes peu ou pas du tout connus, avec ce désir de les faire découvrir à mon entourage mais pas seulement, sentiment qui se transorma succinctement en méfiance et finalement en désintérêt total, ce qui ne m'empêche pas, de temps à autre, de laisser sa chance à un groupe, un disque, comme ici, celui des Warpaint. Je me souviens à la première écoute avoir pensé que des disques que j'adore -  Mezzanine de Massive Attack, Heaven or Las Vegas de Cocteau Twins ou Disintegration de The Cure - portaient en eux le germe de cette musique qui suinte l'ennui, cet ennui de l'adolescence, celui du film Lost in translation de Sofia Coppola (que je n'aime pas trop), me laissant perplexe, angoissé presque, avec cette question lancinante : j'aime ou j'aime pas ?!? Je me souviens aussi d'avoir souvent souri devant la naïveté des textes anglophones, mais qui fonctionnent si bien avec ce genre de musique, et de noter quand même que ce disque était produit par Flood, assistant de Martin Hannett pour le premier album de New Order, Movement, et producteur d'un grand nombre de groupes et d'albums qui ont compté à un moment donné (pour moi), comme le premier album de Nick Cave, le premier Nine Inch Nails ou encore le merveilleux et peut-être sous-estimé Seventh Tree de Goldfrapp, donnée non négligeable qui me permet d'écouter avec une certaine bienveillance ce disque de Warpaint, surtout quand Theresa Becker Wayman fredonne de manière presque apathique sur l'excellent titre Feeling allright

    "My mind is made of simple thoughts, I'm going up to start this day, Soon you see me now".

    Forte impression aussi avec ce nouveau livre de Vila-Matas, rédigé pendant et autour de son passage à la Documenta 13 de Kassel. Une fois de plus lire le Barcelonais ce n'est pas simplement lire de la littérature, c'est lire LA littérature. Récit en forme de tour de babel, Vila-Matas brille toujours plus sous cette forme journalistique que par ses romans ; clin d'oeil à Kafka, Borges, Benjamin, Duchamp etc. et donc bien sûr aussi à l'imposture (littéraire de préférence), c'est un écrivain angoissé par la peur de s'ennuyer qui se "livre" ici, et accomplit un travail brillant, une réflexion exemplaire sur le monde de l'art, et la fonction de l'écrivain.

    "Moi, je savais pourquoi j'avais accepté mais il n'était pas question de l'avouer. Outre l'originalité et le côté littéraire de la manière dont j'avais été invité, j'avais accepté parce que je n'avais jamais pensé que ce qu'on m'avait proposé serait un jour à ma portée - comme si on m'avait invité à jouer dans mon équipe de football préférée : quelque chose que, ne serait-ce qu'à cause de mes soixante-trois ans très récents, on ne me proposerait jamais plus -, et aussi parce que, depuis quelque temps, depuis que je m'étais remis d'un collapsus provoqué par ma vie dissolue, je faisais l'expérience d'un rétablissement sur tous les plans et, au sein de ce processus, mon écriture s'était ouverte à d'autres arts que la littérature. Autrement dit, la matière littéraire avait cessé de m'obséder et j'avais ouvert le jeu à d'autres disciplines."

  • La carte postale du jour ...

    "La récente histoire berlinoise récapitule le basculement de la modernité dans un monde post-politique organisé par des images. "

    - Francesco Masci, L'ordre reigne à Berlin (Allia 2013)

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    Je me souviens de mon premier contact avec Berlin durant les années 80 par le film Moi, Christiane F. ... 13 ans, droguée, prostituée, et des quelques titres de Bowie qui y sont utilisés, dont Heroes, qui reste l'un de mes favoris de toute sa carrière, son audition m'évoquant ainsi Berlin, Berlin m'évoquant à son tour Bowie.. Je me souviens de découvrir dans un reportage diffusé par Arte ces images de Neubauten recevant la visite, après leur premier concert à Berlin-Est en décembre 1989, la visite donc du ministre français Fritz Lang ainsi que du dramaturge Heiner Müller, dans les backstage ! Je me souviens aussi ma surprise quand je découvre que pour cet ensemble musical composé pour un documentaire sur Berlin - disque que je considère comme l'un des meilleurs du groupe Einstürzende Neubauten - un de mes passages favoris de L'Ange de l'Histoire de Walter Benjamin a été utilisé, convenant en effet parfaitement avec l'atmosphère mélancolique que peut dégager parfois cette Babylone des temps post-modernes :

    "Ein Engel ist darauf dargestellt, der aussieht, als wäre er im Begriff, sich von etwas zu entfernen, worauf er starrt. Seine Augen sind aufgerissen, sein Mund steht offen und seine Flügel sind ausgespannt. Der Engel der Geschichte muß so aussehen. Er hat das Antlitz der Vergangenheit zugewendet. Wo eine Kette von Begebenheiten vor uns erscheint, da sieht er eine einzige Katastrophe, die unablässig Trümmer auf Trümmer häuft und sie ihm vor die Füße schleudert. Er möchte wohl verweilen, die Toten wecken und das Zerschlagene zusammenfügen. Aber ein Sturm weht vom Paradiese her, der sich in seinen Flügeln verfangen hat und so stark ist, daß der Engel sie nicht mehr schließen kann. Dieser Sturm treibt ihn unaufhaltsam in die Zukunft, der er den Rücken kehrt, während der Trümmerhaufen vor ihm zum Himmel wächst. Das, was wir den Fortschritt nennen, ist dieser Sturm.“

    J'ai visité Berlin à plusieurs reprises depuis le début des années 90, j'ai vu changer cette ville austère et grise - surtout l'hiver! - en capitale post-moderne colorée et cosmopolite, mais j'ai surtout adoré revisiter son histoire récente, et surtout la période dite "Die Wende" (le Tournant) à travers la chronique "Une année allemande" (Actes Sud 1990) de Cees Nooteboom, infatiguable randonneur urbain, voyageur impénitent et observateur érudi. Avec "L'ordre règne à Berlin" de Francesco Masci (Allia 2013), ce livre de Nooteboom est l'un de mes favoris sur Berlin Babylon.

    "En 1810, Mme de Staël déplorait l'absence à Berlin de monuments gothique, la ville ne lui paraissait pas assez ancienne. "On y voit rien de ce qui retrace les temps antérieurs." On ne peut plus en dire autant aujourd'hui, depuis deux siècles et surtout depuis cinquant ans, on a produit ici une telle quantité d'histoire que l'air en est comme saturé ; et je ne parle même pas de ce qu'on y a construit, mais surtour de ce qui a disparu, du pouvoir des lieux vides, de la force d'attraction des choses évanouies - places, ministères, bunkers du Führer, chambres de torture souterraines -, du no man's land de part et d'autre du mur, du banc de sable mortel entre deux murs que l'on appelait Todesstreifen, "couloir de la mort", de tous ces lieux où se sont engloutis hommes et souvenirs. Berlin est la ville du "non-être", de ce qui a été anéanti sous les bombes, rejeté ou mystérieusement interdit. Il n'en est pas de meilleur symbole que les traces de balles que l'on voit encore si souvent, de petits cavités, des endroits où manquent la pierre qui devrait y être, de l'absence, de même que les gens sont absents des stations de métro murées. On les traverse, et on se trouve soudaint dans un territoire hanté, un monde abandonné de ses habitants ou dévasté par la peste. Les quais sont vides, balayés d'une lumière fantomatique, de la rame on voit le prodigieux silence qui y règne, on sait que, si l'on descendait, on se retrouverait immédiatement changé en un très vieux monsieur, avec un journal de 1943 dans sa poche. Les bâtiments "anciens", comme le Reichstag ou le musée de Pergame, produisent une curieuse impression, il semble s'être échoué là par hasard, grands navires échappés de quelque ère préhistorique, qui ont apparemment du mal à se rappeler leur passé et leur fonction."